La thérapie centrée sur les émotions (TCE) est une approche de plus en plus populaire qui met en avant l'importance des émotions dans le processus de changement psychologique et donc dans la psychothérapie.
Ses promoteurs insistent souvent sur les liens entre cette approche et les neurosciences, suggérant ainsi un ancrage scientifique solide.
Neurosciences et thérapie :
de quoi parle-t-on vraiment ?
Lorsqu'on parle de "neurosciences", il est crucial de distinguer les neurosciences affectives des neurosciences cognitives et décisionnelles.
La confusion vient souvent de là : si la TCE s'appuie effectivement sur certaines recherches neuroscientifiques, il ne s'agit pas des neurosciences affectives qui étudient le fonctionnement psychologique et émotionnel du cerveau (comme celles de Jaak Panksepp).
En effet, la thérapie centrée sur les émotions intègre dans son corpus théorique des recherches sur l'impact des émotions sur les fonctions exécutives et la prise de décision, notamment celles d'Antonio Damasio. Elle n'inclut pas pour autant tout la richesse et l'apport clinique des neurosciences affectives, qui elle se focalise sur le fonctionnement psycho-affectif pur.
Ainsi, Damasio a notamment démontré que les émotions jouent un rôle essentiel dans la prise de décision, dans la planification et l'adaptation, mais son travail ne concerne pas directement la régulation émotionnelle telle que mise en avant dans la TCE. La prise de décision, par exemple, implique des processus cognitifs et exécutifs, alors que la régulation émotionnelle relève plutôt du traitement cérébral des émotions en tant que tel, peu importe les fonctions cognitives en jeu.
Du coté de Damasio, on parle de trois centres cérébraux (amygdale, cortex préfrontal ventromédian et insula) étant impliqués dans l'intégration des émotions dans les processus cognitifs mais toujours pas des trois niveaux de régulation émotionnelle (primaire, secondaire, tertiaire qui regroupe chacun plusieurs structures anatomiques) que le cerveau opère pourtant, peu importe l'émotion concerné et peu importe si un processus cognitif est en cours ou non.
Damasio ne parle pas non plus des deux états de la régulation émotionnelle (chemin neurologique ascendant et descendant) pour suivre les étapes de la régulation émotionnelle pas à pas !
Et pour cause, ce n'était pas l'objet de ses recherches !!
Tout cela se trouve, en revanche, dans la théorie des émotions de base de Jaak Panksepp qui a dédié sa vie à l'étude du fonctionnement cérébral en lien avec la régulation émotionnelle et les applications cliniques qui pouvaient en découler en psychothérapie.
La persistance du modèle de Paul Ekman
Un autre point souvent avancé par la TCE est son appui sur les travaux de Paul Ekman sur les émotions primaires et secondaires. Or, si le modèle d'Ekman a eu une influence majeure, il n'est pas le seul existant, et il est aujourd'hui largement nuancé par d'autres recherches en neurosciences affectives.
Les études de J. Panksepp ont permis d'explorer l'existence de circuit neuronal pour chacune des émotions répertoriées par P. Ekman. Et c'est en IRMf qu'il a pu être déterminé les 7 émotions de base, qui ne vont pas toutes dans le sens des études empiriques de P. Ekman !
Juste pour citer les 7 émotions de base : Seeking, Rage, Fear, Grief/Panic, Care, Play, Lust. cf. exemple d'un cas de dépression en fin d'article.
Les études empiriques d'Ekman se basaient uniquement sur l'observation de nombreux portraits photographiques avec des mimiques différentes selon les émotions que les sujets d'étude devaient reproduire. Son objectif était de découvrir si les émotions étaient universelles ou si elles dépendaient de la culture dans lequel les individus se développaient.
Elles n'étaient donc pas réalisées dans le but de comprendre comment elles naissaient et encore moins comment elles pouvaient se réguler ! Et pourtant, c'est toujours sur cette base théorique là que se repose la plupart de l'enseignement en psychologie et des approches en psychothérapie.
Ainsi, les fondements neuroscientifiques de la TCE (et les études en psychologie aussi d'ailleurs) restent très attachés à une vision des émotions qui date des années 1970, alors que les avancées en neurosciences affectives démontrent que la régulation émotionnelle est très loin de se limiter à une simple identification ou reconnaissance de la dite émotion pour magiquement se transformer !
Autrement, courage à tous les anxieux qui ne voient pourtant pas leur peur se transformer une fois conscientisée ...
J. Panksepp va au delà en précisant les contours et le fonctionnement de chacune de ses émotions, dans l'intimité du cerveau lui même !
Il a également collaboré avec des cliniciens pour affiner ses recherches et y inclure des perspectives thérapeutiques directement applicables dans un processus psychothérapeutique.
Une approche plus expérientielle
qu'objectivement neuroscientifique
Ce qui fait le cœur de la TCE n'est pas tant son appui sur les neurosciences que son caractère expérientiel et empirique, inspiré de la Gestalt-thérapie. Or, si la Gestalt est une approche particulièrement riche et efficace pour le travail sur les émotions, elle ne repose pas non plus sur un socle neuroscientifique. Elle se concentre sur l'expérience vécue du patient, la manière dont il ressent ses émotions dans l'instant présent, et comment il peut les explorer et les transformer dans un cadre sécurisant.
Des techniques et outils spécifiques peuvent alors être utilisés comme la technique de la chaise vide par exemple.
Ce sont des approches qui sont toutes pertinentes en soit mais qui font aussi souvent référence à d'autres corpus théoriques moins connus et qui ont pourtant inspirés nombre d'approche expérientielle.
Des outils tel que la visualisation ou le sensori-moteur mettent au travail le patient sur ce même principe de la chaise vide... mais sans chaise vide !
La perspective expérientielle et Gestaltist est précieuse, mais elle ne justifie pas, à mon sens, l'utilisation des neurosciences comme argument d’autorité pour valider la TCE. Présenter la TCE comme "fondée sur les neurosciences" est donc, à minima, une exagération qui peut prêter à confusion.
Une régulation émotionnelle menée
avec originalité, voire étrangeté
La TCE s'articule autour de l'idée que seule une émotion peut transformer une autre émotion.
Là aussi, le constat me laisse perplexe.
Autant cela peut être vrai par moment car les émotions sont toutes en interconnexion les unes avec les autres et certaines émotions ont même pour rôle de compenser le dysfonctionnement d'autres émotions voisines. Mais ces compensations ne sont pas toujours saines pour autant, elles ne sont qu'une tentative de retour à l'homéostasie émotionnelle, sans pour autant que cela n'assure la réussite de la dite tentative.
L'adaptation émotionnelle saine dépend de toutes autres facteurs : notamment les croyances limitantes, les schémas dysfonctionnels, les modalités d'attachement, les MIO (Modèle Interne Opérant) de J. Bowlby.
La régulation émotionnelle ne peut alors suivre sainement son cours que lorsque tous le reste est plutôt bien équilibré.
Et travailler la régulation émotionnelle en thérapie implique plusieurs choses :
Par ailleurs, certaines des émotions peuvent bénéficier d'un levier émotionnel par l'activation d'autres émotions mais ça ne devrait pas devenir une obligation non plus.
L'exemple de la dépression est intéressante ici :
Un patient dépressif va avoir besoin, progressivement, d'activer, en plus grande quantité, son émotion du "Seeking" (système recherche - l'élan vital, la curiosité, l'envie de découverte et de projection dans le futur).
- On peut tout à fait chercher à activer plus de "Play" (système du jeu relationnel pour résumer) qui va avoir tendance à emporter le Seeking dans une activation plus soutenue.
- On pourrait aussi chercher à activer le Rage (système de la colère) pour aider le patient à mieux poser ses limites et retrouver petit à petit de la confiance en soi et une meilleure estime de soi.
Tout cela est très pertinent selon le type de dépression mais toutes les dépressions ne se "traitent" pas de la même manière. Malgré tous ses leviers thérapeutiques, si on ne travaille pas le système Seeking effondré, le processus thérapeutique va s'en voir limiter au point d'entamer grandement son efficacité sur le moyen / long terme. Pour le dire autrement, le patient ne trouvera que des façons de s'accrocher aux branches plutôt que d'apprendre à grimper dans les arbres avec plaisir et grâce !
Conclusion : un glissement marketing trompeur ?
En résumé, si la TCE intègre certains concepts issus des neurosciences, elle ne repose pas sur les neurosciences affectives, mais plutôt sur des modèles issus de la psychologie émotionnelle, des neurosciences cognitives et de la Gestalt. Le recours aux neurosciences semble donc plus relever d'un argument marketing que d'un fondement scientifique rigoureux car celui-ci n'est pas directement en lien avec l'objectif de l'approche : pratiquer la psychothérapie autour de la question de la régulation émotionnelle.
Cela ne signifie pas que la TCE est inefficace ou non pertinente, mais plutôt qu'il serait plus honnête de la présenter pour ce qu'elle est : une approche expérientielle basée sur la théorie des émotions primaires et secondaires, et non une approche fondée sur des recherches en neurosciences affectives décrivant avec finesse et détail le processus cérébral de la régulation émotionnelle ainsi que son application clinique en psychothérapie.
Rester vigilant sur ces nuances permet de faire des choix thérapeutiques en toute transparence et de mieux comprendre ce que l'on va trouver dans la thérapie centrée sur les émotions.
Si tu es à la recherche d'une formation en psychothérapie orientée vers la régulation émotionnelle,
je peux te proposer la formation
"Les émotions en thérapie : apports et applications des neurosciences affectives"
car j'y transmets la théorie des émotions de base de Jaak Panksepp, intégrée à l'approche de la PGRO
(Psychothérapie Gestaltist des Relations d'Objet, aussi appelé psychothérapie du lien).
Elle est actuellement en pré-vente (donc à prix réduit)
pour soutenir sa production et te donner un accès privilégié par la même occasion !
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