Quand on sort d’études de psychologie, on a tous entendu parler de la neutralité bienveillante. On en a tellement entendu parler que cela est bien souvent devenue une injonction, si ce n'est dire un dogme. Mais a-t-on tant que ça entendu parler de la chaleur humaine dans la relation thérapeutique ?
De la psychanalyse, des TCC, parfois des thérapies systémiques, on en a aussi entendu parler dans la plupart des cas. Mais de la psychologie humaniste ? Si on a un peu de chance, on a eu un petit cours d’analyse transactionnelle… Et encore, souvent teinté de management plus que de clinique. Pourtant, cette approche regorge de trésors pour le travail thérapeutique, et notamment un concept fondamental : la congruence.
C'est aussi l'approche qui inclut le plus la notion de chaleur, d'humanité, voire d'affection, bien que professionnel, dans la relation thérapeute / patient.
La congruence, ce pilier qu’on oublie trop souvent
La congruence, c’est ce qui décrit la posture la plus aligné du thérapeute avec ce qu’il ressent, ce qu’il pense, et ce qu’il fait. Et ce n’est pas juste un joli mot. C’est un pilier de la relation thérapeutique.
Pourtant, combien de praticiens sortent diplômés sans même en avoir entendu parler ? Être congruent, c’est pouvoir nommer ce qui se passe pour soi, le penser, le mettre en sens… et l’utiliser au service du patient. C’est ce qui rend possible une posture thérapeutique humaine, incarnée, et profondément éthique.
Tout l'art de cette façon de faire réside dans l'application clinique mais surtout concrète de cette dynamique relationnelle. Il est rare que les études initiales de psychologie apprennent réellement à utiliser le transfert et le contre transfert au sein même des interventions thérapeutiques avec le patient. Ressentir, analyser dans sa tête : oui. Mais en parler et comment l'expliciter au patient, ça reste un petit mystère.
Une liberté encadrée
Être congruent, finalement, c’est aussi pouvoir prendre des libertés dans la relation — mais des libertés encadrées, réfléchies, ajustées. On ne parle pas ici de s’autoriser tout et n’importe quoi au nom de l’authenticité, mais de savoir pourquoi on fait ce qu’on fait.
Est-ce que ce que je propose est au service du processus thérapeutique, ou est-ce que je suis en train de répondre à un besoin personnel (être aimé, être rassuré, sauver l’autre, etc.) ? Il y a là une vraie exigence de lucidité, d'analyse et de réflexion professionnelle. On est donc très loin de dérapage professionnel qui ferait sortir du cadre déontologique et éthique requis pour le bon déroulé de toute thérapie.
D'ailleurs, on oublie parfois que la déontologie n'est pas uniquement là pour border le professionnel dans ce qu'il a le droit de faire ou non ! Elle est surtout censée servir au processus thérapeutique du patient, et donc, de facto, au patient lui-même et à son avancé.
Pour aller plus loin sur la notion de congruence (ou revenir au basique) : aller lire Carl Rogers bien évidemment mais aussi l'excellent livre "Entre résilience et résonnance. A l'écoute des émotions" de Boris Cyrulnik et Mony Elkaim
L’intention comme point de départ
Mais comme faire pour s'assurer de rester dans des limites professionnelles et optimales pour le patient ?
On peut déjà commencer par l’intention.
Ce que je fais est-il réellement au service du patient ? De son processus ? De ses besoins profonds ?
Ou est-ce que j’agis sous le coup de mes affects, de mon envie d’être reconnu, de ma peur de ne pas être à la hauteur ?
Ou bien encore est ce que je ne fais que suivre mon instinct, mon intuition sans être capable d'expliciter à mon patient et/à mes pairs mes prises de décision ?
Le niveau de détail dans les explications devrait naturellement varier selon que l’on s’adresse à un patient ou à un pair. Il ne s’agit pas de cacher des choses aux patients – je ne défends absolument pas une posture de professionnel tout-puissant, gardien d’un savoir réservé à une élite. Au contraire, je crois en la transmission. Mais cette transmission doit être adaptée. Vulgariser, c’est rendre accessible un savoir, sans pour autant noyer l’autre dans les coulisses ou le jargon. Beaucoup de patients n’ont pas besoin – ni même envie – de tout comprendre dans les moindres détails. Le cadre thérapeutique, clair et sécurisant, leur suffit. Et c’est justement ce contenant qui les aide à avancer. Pour certains, bien sûr, entrer davantage dans les explications peut enrichir le processus. Mais pour d’autres, cela peut devenir une manière d’éviter l’expérience sensible de la thérapie, en se réfugiant dans une quête de savoir qui, sans ancrage vécu, reste stérile.
Savoir s’auto-questionner à tous ces niveaux lâ, c’est déjà poser un premier cadre sécurisant, pour soi comme pour le patient.
L’adaptation, la clé d’une relation vivante
Une posture humaine, incarnée, implique aussi une adaptation constante.
Est-ce que je tutoie tous mes patients ?
Est-ce que je leur offre le même niveau de chaleur, d’humour, de contact ?
La réponse devrait être non !
Parce qu’ils sont différents. Parce que leurs besoins sont différents. Parce que le lien thérapeutique se construit à deux.
Parfois, cette adaptation implique même de poser des limites, comme dans cette situation où j’ai refusé de tutoyer un patient. Son transfert était intense, et j’ai senti qu’il avait besoin d’un contenant, pas d’une proximité supplémentaire. Cette décision, je l’ai pensée, je l’ai supervisée, je l’ai verbalisée avec lui : pour que ce ne soit pas une punition, mais un levier thérapeutique. Une occasion d’expérimenter autre chose dans la relation. Une autre manière d’exister pour lui, en étant respecté dans ses besoins, et moi dans les miens.
En parallèle, je suis attentive à un principe essentiel : éviter toute forme de favoritisme, car cela pourrait ouvrir la voie à des passages à l’acte ou à des dynamiques relationnelles problématiques. Adapter sa posture ou sa manière d’être en fonction des besoins spécifiques de chaque patient ne doit jamais être confondu avec le fait d’accorder des « privilèges » à certains, en fonction de critères subjectifs comme l’apparence, la sympathie ou une affinité personnelle.
Il est humain, bien sûr, de ressentir plus de facilité ou de plaisir à travailler avec certains patients – tout comme cela arrive avec certains collègues. Mais ces affinités ne doivent en aucun cas guider nos choix en matière d’adaptation relationnelle. Dans le cadre thérapeutique, chaque ajustement doit partir des besoins du patient et non de nos préférences personnelles.
La transparence, comme art thérapeutique
Une de mes autres boussoles dans la posture thérapeutique, c’est la transparence.
Est-ce que je peux nommer ce que je vis dans la relation ?
Est-ce que je peux expliquer pourquoi j’ai proposé tel geste, telle parole, tel silence ?
Est-ce que je peux revenir dessus, avec le patient, et en faire un matériel thérapeutique à part entière ?
C’est une dimension que j’ai particulièrement retrouvée dans l’approche PGRO (psychothérapie gestaltiste des relations d’objet), où la transparence devient un devoir éthique du thérapeute.
Rendre accessible ce qui se passe pour soi, ce qui nous traverse, nos hypothèses, nos ressentis, nos hésitations — pas pour se décharger, mais pour collaborer avec le patient. En plus de renforcer l'alliance thérapeutique d'une manière insoupçonnée, il encourage le patient à être plus actif et plus responsable dans sa démarche thérapeutique.
C’est justement dans une posture chaleureuse, incarnée et complice que les risques de dépendance, de dérapage relationnel ou de passage à l’acte s’éloignent le plus. Contrairement à certaines idées reçues, ce n’est pas la chaleur humaine du thérapeute qui rend le patient dépendant. C’est bien plus souvent la distance, l’opacité et le silence du thérapeute qui figent la relation dans une verticalité hiérarchique, empêchant la co-construction.
Et si la chaleur devait malgré tout activer une forme de dépendance, ce serait le signe qu’elle n’est pas suffisamment régulée, ajustée ou alignée avec les besoins du patient, la posture du thérapeute et la dynamique du lien thérapeutique. Il est donc illusoire de croire que les patients ayant des blessures ou des dépendances affectives ne devraient pas vivre de relation chaleureuse avec leur thérapeute, sous prétexte de ne pas "rejouer" leur dépendance. Car cette répétition, elle aura lieu quoi qu’il arrive : tout ce qui appartient au patient se rejoue inévitablement dans la relation thérapeutique, quel que soit le style relationnel ou les propres attaches du thérapeute.
Ce qui change en revanche, c’est ce que cette relation permet ou non de transformer. Un patient présentant une dépendance affective face à un thérapeute distant, froid ou fuyant ne pourra pas expérimenter d’alternative relationnelle. Il continuera, dans cette impasse, à tendre ses filets affectifs dans l’espoir qu’enfin, quelqu’un réponde. Ce n’est pas un hasard si les personnes avec un attachement anxieux sont souvent attirées par des profils évitants : les jeux relationnels se répètent… encore et encore… jusqu’à ce qu’un autre scénario puisse enfin émerger.
Pour aller plus loin sur la notion de jeux relationnels : aller voir la théorie d'Eric Berne sur l'Analyse Transactionnelle !
Une formation à ce sujet est prévue et fera partie des formations disponibles dans le membership du VIPro !
Vers une posture éthique et incarnée
Refuser la neutralité froide, ce n’est pas faire n’importe quoi.
C’est choisir une présence. Une présence consciente, adaptée, alignée. Une posture qui ne se joue pas en surface, mais qui s’enracine dans un travail intérieur exigeant.
Une posture qui nécessite une double, voire triple attention en séance : à ce qui se passe pour le patient, à ce qui se passe pour soi, et à ce qui se passe dans le lien.
La maîtrise des trois compétences fondamentales du thérapeute — réflexive, interactive et affective — est essentielle pour pouvoir évoluer avec justesse, fluidité et éthique dans des liens humains où chaleur, présence et, parfois, tendresse ont toute leur place.
Et pourtant, ces dimensions sont encore largement absentes des cursus universitaires en psychologie, alors qu’elles constituent, à mes yeux, le socle même de toute posture thérapeutique véritablement incarnée. J’ai eu la chance de les découvrir, de les approfondir et de les intégrer au fil de mes formations continues, et c’est aujourd’hui une vraie joie pour moi de pouvoir les transmettre à mon tour, au service des professionnels francophones.
Connais-tu déjà ces 3 compétences thérapeutiques ? Dis nous en commentaire !
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Et si tu te reconnais là-dedans — ou si tu sens que tu aimerais développer cette dimension dans ta pratique — je t’invite à découvrir ma formation "Psychothérapie : comprendre, ressentir, agir".
Toute la formation est nourrie par et pour cette posture, et un module entier est consacré à la question du lien thérapeutique, du positionnement du thérapeute, des autorisations affectives et du prendre soin de soi dans l’accompagnement.
À très bientôt, ✨
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